Voilà un sujet qui coche bien des cases, réunissant trois de mes centres d’intérêt majeurs. Bien que je me sois un peu désintéressée ces derniers temps de la culture hip-hop, j’ai toujours été fascinée par l’allure de certains artistes porte-étendards de cette culture si riche.
Je découperai donc mon propos par rapport à ces trois “passions” qui sont les miennes : la justice, le style incarné par A$AP Rocky, et la culture hip-hop.
Le courtcore
Le thème de cette newsletter m’est apparu en scrollant sur mon fil Instagram, avec un crescendo fort guidé vers des apparitions de Rihanna en robe Balenciaga ultrachic, mon algorithme comprenant aisément mon attrait soudain pour l’affaire ou plutôt les affaires que portait le couple lors de ces jours d’audience.
Contexte : A$AP Rocky, rappeur américain, était poursuivi pour agression avec arme, infraction qu’il aurait commise contre un ami à Hollywood en 2021.
Cette expérience de “scrolleuse” invétérée m’a questionnée sur les penchants de notre société à s’intéresser aux malheurs des autres. Notamment lorsque ces mêmes personnes sont des célébrités et qu’elles ont des déboires avec la justice. Ce voyeurisme semble pourtant être commun à tous, au regard des émissions de télé et podcasts portés sur le sujet, qui ne cessent de fleurir au fur et à mesure que le temps s’écoule. Pour autant, il semble que ce soit seulement le support, et non l’intérêt, qui change au fil des années.
Cette curiosité presque déplacée peut être l’instrument d’une défense classique. De façon générale, avant tout débat au fond et de façon informelle, l’avocat de la défense peut être amené à conseiller son client sur sa posture, impliquant notamment sa tenue vestimentaire. La sobriété est de mise, une tenue permettant de montrer au juge, mais aussi aux jurés quand il y en a, le respect de la personne mise en cause envers les institutions juridiques, et démontrant notamment son chemin vers la repentance.
Cette posture, les conseillers en style et stylistes de l’actrice Gwyneth Paltrow l’avaient bien comprise. Cette dernière arborait, lors de son procès pour blessures involontaires en 2022, des looks empruntant ou incarnant à eux-mêmes le courant du quiet luxury. Avec un vestiaire puisé dans des marques comme Loro Piana ou encore The Row, pour qui ce courant est inhérent à leur création.


Il s’avère que le procès d’A$AP Rocky, de son vrai nom Rakim Mayers, marque un autre tournant dans la page du courtcore (hashtag inauguré lors du précédent procès par les adeptes du réseau TikTok notamment), ce procès mettant en avant non pas une, mais deux célébrités qui, au-delà de leur art de prédilection – la musique donc –, sont reconnues l’une comme l’autre – par moi-même en tout cas – comme des pionniers en termes de style. Leur première rencontre, officialisée bien avant de se mettre ensemble et matérialisée dans un clip d’A$AP Rocky pour le morceau Fashion Killa, promettait une belle épopée du couple dans la fashion sphère.

“She is a fashion killer, and I'm a trendy nigga”
Rihanna, pour soutenir son mari lors de son procès, aura misé sur des pièces fortes mais dignes, comme une méga-dress Balenciaga imprimé serpent vert. Le jour de la relaxe de son mari, elle optera pour un costume smart aux couleurs sobres et dépareillées : gris clair pour la veste, kaki grisé pour le pantalon et la chemise gris clair rayée, matchant quelque peu avec le costume de son mari, semblant tout droit sorti du vestiaire chic des années 80. On remarque ici l’art de mélanger les couleurs pour Rihanna et celui de mélanger les imprimés pour A$AP Rocky, portant une chemise vichy bleu marine avec un costume à rayures tennis.
Disparition du MOI
Cette tendance du “courtcore” reflète pourtant une vérité et une actualité bien connues chez les célébrités : celle de la dépossession de soi. Leur intimité leur est arrachée, effaçant avec elle les contours de leur identité propre. Ce phénomène a notamment été observé chez les superstars, la plus mémorable restant Britney Spears, qui, pendant plus de dix ans, s’est retrouvée sous la tutelle de son père sans vraiment avoir son mot à dire. Désormais, elle semble être à la recherche de son essence propre, tentant de rattraper toutes ces années de dépossession. Sur ce sujet, je vous invite à visionner l’émission Culture et pop sur Arte : Britney sans filtre.
Ici, il semble que la stratégie — si stratégie il y a — du couple et de leurs conseillers soit de prendre la part belle à cette extorsion de leur intimité, en prenant les devants et en donnant le change aux personnes qui, peut-être, étaient plus intéressées par leur chute.
A$AP roi de la “sape”
Pour commencer, un peu d’étymologie : l’acronyme SAPE signifie Société des ambianceurs et des personnes élégantes. Il puise ses origines dans un quartier de Brazzaville, en République du Congo, et représente un mouvement culturel revendiquant la sapologie, ou l’art de s’habiller comme un dandy, en se fournissant chez de grands couturiers ou en confectionnant des costumes impeccablement taillés.
Sans transition aucune, il semble qu’A$AP Rocky soit quelque peu empreint de ce mouvement, de façon consciente ou non. Il est sans conteste une référence en matière de style, et cela va bien au-delà des codes que l’on pourrait associer au streetwear. D’ailleurs, je me demande s’il existe encore des personnes qui pensent que la culture hip-hop est cantonnée à un seul style.
Pour autant, l’artiste a réussi, de mon point de vue, à démocratiser cette ouverture du monde du luxe aux célébrités issues de la culture hip-hop. Il a été l’égérie de nombreuses marques prestigieuses comme Dior et vient d’être nommé directeur artistique de Ray-Ban. A$AP Rocky ose mélanger les genres avec une justesse déconcertante. Cette fusion esthétique repousse les barrières d’un style qu’on attribuait autrefois au rap, tout comme celles du vestiaire masculin : sacs à main, bijoux extravagants, jupes, costumes roses, etc. C’est en cela que son allure est si intéressante, mais aussi et surtout parce qu’il le fait à la perfection. Il m’est difficile de lui trouver des fautes de goût. Pour autant, transposer son style sur une autre personne ne serait pas chose aisée et risquerait de faire tomber cet aventurier de la mode dans le ridicule.
A$AP Rocky manie l’art de porter le costume comme personne. S’il fallait trouver un vêtement qui incarne le rappeur, ce serait de toute évidence le costard. Cette esthétique bien à lui a été exploitée dans le vidéoclip de la chanson de Lana Del Rey, National Anthem.
La chanteuse y retrace la vie du couple présidentiel Kennedy dans les années 60, avec une esthétique soignée empruntant tous les codes visuels et vestimentaires de l’époque. Le rappeur apparaît dans des costumes beiges, parfaits pour les sorties en bord de mer et les vacances décontractées du Président, tout en y ajoutant ses accessoires fétiches : casquette à l’envers, grillz aux dents, lunettes Ray-Ban Wayfarer et bijoux extravagants. Quant à Lana Del Rey, l’inspiration provenant de la Première Dame, Jackie Kennedy, est sans équivoque : eye-liner marqué, robes pastel à col Claudine, ballerines, cheveux gonflés et brossés en arrière, agrémentés d’un large bandeau.
Sans trop m’épancher sur cette œuvre qui a marqué ma jeunesse, tant par sa mélodie que par sa direction artistique – et que je vous invite à regarder –, il est évident qu’A$AP Rocky est une figure dont le paysage de la mode ne saurait se passer.




La culture hip-hop est riche et pleine de créativité, et c’est avec une grande joie que je vois les portes d’un monde qui lui était autrefois fermé, s’ouvrir à ses contemporains. À l’image de Pharrell Williams, aujourd’hui directeur artistique du vestiaire homme chez Louis Vuitton, ou de l’impulsion du regretté Virgil Abloh, créateur de la marque OFF-WHITE, mais aussi à travers les apparitions de plus en plus nombreuses d’artistes de ce courant lors de grands événements comme le Super Bowl. À l’instar de Kendrick Lamar, qui a marqué d’une main de maître la mi-temps du match de football américain cette année, notamment par son style audacieux et son désormais iconique pantalon patte d’œuf.

Je vous remercie de m’avoir lue,
Layla Naour